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Dieu est il un psychanalyste qui s'ignore ?

- Diane Semerjdian - 

- Ramzi Haddad-

Dieu est-il un psychanalyste qui s'ignore ?

Du bien être à la dépression, quelle place accorder à la religion ?

 

Par Diane Semerdjian, chercheuse en relations internationales,

Et Ramzi Haddad, psychiatre et chercheur à l'université Saint-Joseph de Beyrouth. 

Spécialiste en maladies mentales, addictions psychiatriques, et dédoublements de la personalité. 

 

Paris et Beyrouth, Avril 2018. 

Le bien-être et la religion 

 

L'idée d'un article sur le lien entre les troubles mentaux et la religiosité vient d'une étude conjointe entre les départements de psychologie et de psychiatrie de plusieurs université libanaises et d'une université française (Faculté de sciences médicales, Université Saint Joseph, Université Pierre et Marie Curie et  l'Hotel Dieu Hospital of Lebanon)  . Quatre professeurs ont ainsi posé un regard inédit sur une relation causale encore peu exploitée. Le Liban permet un étude la plus large possible en ce qu'il est un pays multiconfessionnel et donc pluraliste en terme de croyances. Au delà, suite à la guerre civile et aux nombreux conflits qui ont secoué le pays, une part de la population a été confrontée à ce qu'on nomme «état post-traumatique». C'est à dire que leur comportement ainsi que leur psychisme ont été affectés par l'exposition à un ou des événements violents. 

 

Il convient d'abord de définir ce qu'est la religiosité. Dans le dictionnaire c'est un terme qui renvoi à “une disposition religieuse”. Quelque soit le Dieu qui est prié, c'est le sentiment religieux intime qui est concerné. Mais c'est une notion qui est difficile à jauger et à interpréter justement parce qu'elle attrait à un terrain confidentiel. Peut-on donc en rendre compte avec des données structurelles ? Dans le «Handbook of Religion and Health», Koenig and McCullough ont identifié trois vecteurs signifiants: la présence aux offices, les activités religieuses privés et l'importance subjective de la religiosité pour le sujet. 

 

Les auteurs partent du fait que  le bien être psychologique est corrélé à un fort taux d'engagement religieux. Aussi, il n'est plus à prouver le lien entre le besoin d'investissement dans la vie religieuse et la santé mentale. Ce n'est pas péjoratif, c'est simplement la démonstration que la piété fait corps avec l'esprit. Lorsqu'un sujet n'est pas en état traumatique ou post-traumatique il est d'avantage disponible pour sa communauté religieuse. 

 

Mais qui est juge en matière de santé mentale? Le terme de «bien-être» est en soi déjà un jugement de valeur. Surtout c'est une notion mouvante qui peut aussi bien s'apparenter à un but à atteindre qu'à un symptôme ponctuel. En tout cas, une affliction mentale peut être atténuée par le lien avec la communauté ou l'on peut trouver support, solutions et ressources psychologiques. La religion peut aussi apparaître comme un mécanisme de défense au rôle accélérateur dans la formation d'un désordre mental notamment chez les personnes âgées souffrant de dépression . L'âge agit donc comme un facteur de spécificité puisqu'une revue de littérature plus large permet d'affirmer que l'affiliation religieuse fait décroître le risque de dépression.  

 

 

La dépression au défi de la neurothéologie

 

La dépression est une rupture du soi. C'est aussi une expérience psychique et somatique qui est vécue différemment par chacun. Comme l'explique le psychologue Claude Smadja: «Si certains ont une conscience aiguë de ce qu'ils perdent en devenant malades, d'autres au contraire, et c'est là une observation qui ne cesse de nous étonner saluent l'avènement de la maladie comme un sauvetage psychique». 

 

Cette observation tendrait à reconnaître qu'il existe une personnalité dépressive inique chez chaque sujet concerné. La neurothéologie est venue récemment bouleverser cet acquis. Cette discipline part du principe qu'il existe un lien entre la religion et la biologie du cerveau. Y a t-il en chez certain une prédisposition cérébrale à la foi ? Une réponse positive externalise les notions de transcendance et de croyance. Un article, datant de Janvier 2013, paru dans la revue Psychological Medicine aborde ce thème sensible. Les auteurs reportent l'observation suivante : 

 

«Our work adds to a growing body of evidence that spiritual beliefs in the absence of a clear religious affiliation or practice icrease vulnerability to depression ; it also contrasts with many studies where religious and spiritual beliefs and practice have been found to be associated with better mental health. An explanation for the disparity could be the complex relationship between the concepts of religiosity and well-being, and that findings in any specific population may not generalize to another ». 

 

En conclusion, les chercheurs ont tout d'abord reconnu que le fait de croire n'incarne pas un obstacle au risque de dépression majeur. De plus, il y a certe un une relation complexe entre la religion, la spiritualité et la santé mentale, mais il y aussi une forte tendance à regarder la religion et la spiritualité comme positif pour le bien-être mental. 

 

L'ensemble des prospectives sur ces corrélations entre psychopathologies et religion ont été pour la plupart mené en Occident. Dans le monde arabe et plus particulièrement dans les pays islamiques quasiment personne ne s'y est penché jusqu'alors. Hormis un chercheur Koweïtien qui a mené un travail circonstancié sur la religiosité, la santé et le bien-être parmi un échantillon de travailleurs de son pays (Abdel-Khalek AM, 2008), il y a encore un large champ a explorer. L'étude franco-libanaise comme l'article dans le psychological medicine déplore ce manque de diversité dans les recherches: 

 

 “Research in this field has been dominated by North American studies, whereas in the more secular cultures of Europe, religious people may feel less supported in their faith”.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Deux questions à Ramzi Haddad,  psychiatre et chercheur à l'Université Saint Joseph de Beyrouth:

 

Lors de nos rencontres avec Souad et Balkisse, toutes les deux réfugiées syriennes au Liban et musulmanes, elles nous ont confié que la religion et la tradition ont été des freins à leur émancipation. Cela a rendu leur existence plus difficile et n'a pas représenté un appui psychologique fondamental. Vous avez vous même participé à une étude sur la prévalence de la dépression chez les réfugiés syriens et l'influence de la religion. Au regard de notre constat, Souad et Balkisse sont-elles des exceptions? 

 

R. H: Elles ne sont pas des exceptions. La religion peut être un facteur négatif par rapport au psychisme quand elle entrave les libertés et qu’elle est en désaccord avec les aspirations et les pensées de la personne. De même, la foi religieuse peut induire des conflits internes chez la personne, augmenter les sentiments de culpabilité, de colére ou de souffrance, ce qui a un effet néfaste pour le psychisme.

 

En revanche, Amalia, Antoinette ou encore Farah  (du village de Qaa au Nord Liban), toutes les trois chrétiennes se sont appuyées sur leur communauté religieuse et leur foi pour se reconstruire après les deuils qu'elles ont vécu. Elles affirment que cela les a beaucoup aidé mais elles souffrent en général de graves troubles anxieux. Est-ce le support psychologique ou l'élément de croyance subjectif c'est à dire la transcendance religieuse qui aide le sujet à accéder à une forme de résilience ? 

 

R. H: Les deux. La religion peut aider à travers plusieurs mecanismes: donner un sens à la vie, fournir un support social et des liens d’attachement, fournir un support emotionnel, diminuer l’angoisse grâce à une relation sécurisante avec Dieu…

 

Pour résumer de facon très brève, la religion peut des fois être un facteur négatif et augmenter les troubles psychiques (comme dans le cas de Souad et Balkisse, dans le cas de conflits psychiques internes induits par la foi, dans le cas de violence induite par la religion, chez certaines personnes ayant une psychose avec délire mystique…) mais dans la majorité des cas, la religion améliore les troubles psychologiques et diminue le risque de developper des troubles psychologiques. Les recommendations actuelles seraient d’évaluer la religiosité chez toute personne qui consulte pour des troubles psychiques, de voir la place de la religion dans la vie de la personne, et d’intégrer la religion eventuellement dans le processus thérapeutique au même titre que les autres éléments psycho-sociaux, mais sans pour autant utiliser la religion à la place des autres traitements necessaires, comme cela se fait parfois, surtout dans les sociétés orientales. 

Diane Semerdjian

1 . Haddad R.S. MD , Mansour C. PhD ,  Pelissolo A. MD, PhD , Hleis S. MD and Naja W.J.  MD , Religiosity and anxiety in a multiconfessional population, 2008 .

2 .Koenig HG, McCullough ME, Larson DB. Handbook of Religion and Health. New York: Oxford University Press, 2001

3 .Flannelly KJ, Koenig HG, Ellison CG, Galek K, Krause N. Belief in life after death and mental health: findings from a national survey. J Nerv Ment Dis 2006; 194: 524-529

4 . Braam AW, Beekman ATF, Deeg DJH, Smit JH, Tilburg W van.  Religiosity as a protective or prognostic factor of depression in later life; results from a community survey in the Netherlands. Acta Psychiatr Scand 1997; 96:199-205

5 . Smadja Claude, «La dépression inachevée », Revue française de psychanalyse, 2004/4 (Vol. 68), p. 1239-1252. DOI : 10.3917/rfp.684.1239. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2004-4-page-1239.htm 

6 . B.Leurent, I.Nazareth,J. Bellón Saameño,M.I Geerlings,H.Maaroos,S.Saldivia,I.Švab,F.Torres-González,M.Xavier and M. King Spiritual and religious beliefs as risk factors for the onset of major depression: an international cohort study.Psychological Medicine, Available on CJO.  

Antoinette dans la chambre de son fils, décédé dans un attentat à Saïda en 2013. Al Qaa, Liban. © Chloe Sharrock / Aout 2017

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