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PORTRAIT DU LIBAN DE 1975 A NOS JOURS

LE PAYS PARVIENDRA T-IL À RÉSISTER LONGTEMPS AUX CONFLITS RÉGIONAUX?

              La vie institutionnelle et politique du Liban est houleuse et imprévisible, un phénomène en grande partie du à son confessionalisme politique.

Pour faire simple, les plus gros postes au sommet de l’Etat doivent appartenir aux plus importantes communautés religieuses du pays. Le président de la République Michel Aoun,  chrétien maronite est une figure centrale de la guerre civile, connu pour ses combats acharnés contre les Druzes de Joumblatt et les Palestiniens. Le président du Parlement , Nabih Berri, est musulman chiite, est également le chef du mouvement Amal, une milice musulmane très présente durant la guerre civile libanaise,  qui s’est peu à peu démilitarisée au profit du jeu politique et qui s'est effacée derrière la le Hezbollah libanais.

Enfin, le musulman sunnite Saad Hariri a été élu premier ministre en 2016. Fils de l’ancien premier ministre Rafic Hariri assassiné en 2005, et démissionaire depuis Novembre 2017, rendant l'équilibre précaire entre ces trois hommes politiques et leur communauté respective d'autant plus menacés. 

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La guerre civile: un schéma simplifié

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Entre 1975 et 1990, le Liban va connaître une guerre totale: en terme de pertes civiles, de destruction du patrimoine, de séquelles psychologiques. Le pays se retrouve brusquement au centre d’un conflit régional. Ce dernier oppose le front libanais et les phalangistes sous la coupe de Camille Chamoune, Pierre Gemayel ou Souleiman Frangié du côté chrétien (amplement soutenu par la France) aux musulmans et palestiniens présents sur le territoire suite à la guerre israelo-palestinienne de 48, de 67 et de septembre noir en 1970. In fine, une ligne de démarcation termine d’achever la division du Liban entre l’ouest musulman et l’est chrétien. Evidemment, la Syrie d’alors dirigé par le baasiste Hafez Al Assad va sauter sur l’occasion. Elle a peur d’être envahie par Israel, que le Liban chrétien s’allie à l’Etat juif et enfin elle rêve toujours d’une grande Syrie rassemblant en son sein le Liban mais aussi la Jordanie et l’OLP. Dès le début du conflit, en 1976, les troupes syriennes envahissent le pays. Israel, la Syrie, l’Iran… Le Proche Orient trouve un catalyseur idéal pour sa guerre d’ego. Les chrétiens voient l’arrivée des syriens comme une aubaine pour reprendre le dessus dans le conflit et les musulmans sunnites comme chiites la voit comme un affaiblissement manifeste de leur pouvoir. Le Liban futur se joue déjà. Les factions qui en ressortiront gagnantes seront aussi les forces politiques du Liban de demain. D’autres dates clés marquent le conflit, notamment les deux interventions israéliennes de 1978 et 1982, et toujours en 82 le tragique massacre des civils palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila sous l’impassible viseur israélien par les miliciens chrétiens. Bachir Gemayel, président de la république élu en ces temps de crise, s’institue pourfendeur de la paix et clame la réconciliation nationale mais il est abattu la même année. Le pays est loin d’être apaisé, le Hezbollah (parti de Dieu) allié du régime chiite Iranien gagne du terrain à partir de 1983; il s’impose aujourd’hui comme une force politique majeure.

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Des drapeaux du Hezbollah à l'entrée de Hermel, l'un des fief du parti chiite du Nord Liban. © Chloe Sharrock

Les accords de Taef: la ratification des divisions? 

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Les accords de Taef, issu de la médiation entre le Maroc, l’Algérie et l’Arabie Saoudite, traduisent la volonté syrienne de garder le Liban sous sa tutelle. Intervenant en 1989, ils marquent la fin de la guerre et une solution politique. Les troupes syriennes sont autorisées à rester dans le pays tant qu’Israel est présent dans le sud Liban. Ces accords impliquent que la reconstruction du pays est confisquée aux libanais. La Syrie est juste désireuse de garder un oeil sur les milices palestiniennes (pour les garder à l’écart d’Israel), et de s’assurer de la place des chrétiens dans le jeu politique pour qu’un pouvoir qui ne leur est pas hostile reste en l’état.

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L’Historien Nadim Sheadi parle d’une inversion entre la situation communautaire d’avant et d’après-guerre. Si de nos jours, les identités sont revendiquées au Liban, avant la guerre une pudeur sociale, une uniformisation des coutumes participait à l’avancement idéologique de la société dans son progressisme (issu des échos de Mai 68 chez les étudiants libanais, émergence d’une classe moyenne, création d’une culture urbaine ) comme dans ses travers (crise économique, crise du logement). Selon l’historien, ce renversement a produit in fine un éclatement de l’appareil étatique. Pour retrouver leurs repères, la population n’a eu d’autre choix que de se recentrer sur les identités particulières comme marqueur de pouvoir et l’idée d’une libanité commune s’est éloignée.

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« La guerre a été la cause principale de la modification radicale des représentations sociales qui servent de matrices aux identités communautaires renforcées » - Elizabeth Picard, Cultures et Conflits, 1994

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Alors, les accords de Taef ont ils été l’occasion recouvrée d’asseoir une division communautaire volontaire entamant de ce fait une reconstruction apaisée du Liban? Cette théorie dite du « clash des civilisations » que Nadim Sheadi et Elizabeth Picard redessine en des termes plus policés restent cependant à tempérer. Pourquoi ? Car l’organisation clanique, l’explication religieuse, reste un marqueur clé des sociétés détruites. L’erreur de Taef est de prendre le risque d’une assise communautaire sur une autre, mais on ne peut pas décemment demander à une société traumatisée de reprendre la ou elle l’avait laissé le processus de laïcisation érigé en modèle incontestable par les pays occidentaux.  Les accords de Taef peuvent produire des rapports d’exclusion ou d’inclusion mais c’est d’avantage leur rigidité, leur incapacité à traduire les évolutions de la société libanaise qui risque d’avoir leur peau.

Le texte n’a pas la capacité de résilience des individus.

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2006: un retrait israélien et syrien sous regain de tensions. 

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Le 14 Août 2006 marque la cessation des hostilités entre Israël et le Hezbollah. Mais c’est une véritable punition collective que vont subir les libanais au préalable.

Le 12 Juillet 2006, deux militaires israéliens sont enlevés à la frontière libano-israélienne par des militants du Hezbollah. Imbroglio politique car, comme cité plus haut, le Hezbollah est devenue une réelle force politique au sein du gouvernement, se targuant de deux ministres en son sein. Le bilan civil est de près de  1 180 morts, plus de 4000  blessés et environ un million de déplacés.  41 civils seront également touchés du côté nord israélien par les bombardements du Hezbollah. C’est la résolution 1701 du Conseil de sécurité qui met fin aux hostilités et à la guerre des 33 jours. La France, les Etats Unis et Israël ont contribué à la mise en place de la FINUL (Force Intérimaire des Nations Unies au Liban) et au prérequis du désarmement du Hezbollah. Cette diplomatie proactive n’est pas désintéressée puisque les trois pays occidentaux ont tous intérêt à l’affaiblissement de l’Iran, se sentant perpétuellement menacé par ses vues nucléaires et par son positionnement dans la région.

La guerre des 33 jours est encore une fois le réceptacle d’intérêts de grandes puissances se disputant insatiablement le visage que prendra le Liban.  Le vieux rêve d’unité intercommunautaire se heurte alors à une crise domestique entre plusieurs élites farouches, pour qui l’existence de forces multipolaires au Liban garantit un objet de lutte, une porte ouverte sur l’instabilité et donc la possibilité d’une assise. En grande contradiction avec la résolution 1701, le Hezbollah proclame sa « victoire divine » et s’en trouve même renforcé dans les territoires qu’il contrôle.

Mais cette vive opposition entre les forces du 8 Mars (pro-hezbollah) et du 14 Mars (pro-occidental) qui avait divisé le pays en 2006 jusqu’à son apogée belliciste continue d’alimenter l’actualité.

La ligne bleue à la frontière israélienne au Sud du Liban, contrôlée par les Nations Unis. © Chloe Sharrock

Les libanais : un peuple de resistance ?

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Le morcellement territorial et idéologique est loin d’être achevé à ce jour. L'année dernière, le chef maronite Mgr Bechara RaÏ a clairement accusé Hassan Nasrallah et les chefs du Hezbollah de leur implication dans la guerre en Syrie, des propos réitérés dernièrement dans le contexte de demission du PM Saad Hariri. 

La déclaration de Baabda, publiée le 11 Juin 2012 par le Comité de Dialogue National, reprend en ces termes la théorie de la distanciation (point n°12):

" Se tenir à l’écart de la politique des axes et des conflits régionaux et internationaux et éviter les retombées des tensions et des crises régionales pour préserver les intérêts supérieurs du Liban, son unité nationale et la paix civile, exception faite des résolutions revêtues de la légitimité internationale, de l’unanimité arabe et de la juste cause palestinienne, y compris le droit des réfugiés palestiniens au retour dans leur territoire et leurs foyers, plutôt que leur implantation."

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L’exceptionnalisme est le premier ennemi de la distanciation. C’est peut-être ce qui précipitera le Liban dans une prochaine crise. A cela, s’ajoute le rapprchement entre le président Aoun et Nasrallah depuis que la formation politique du Hezbollah a participé à faire élire le leader maronite à la présidence le 31 Octobre 2016.

Et c’est justement ce double discours qui empêche le Liban de connaitre une souveraineté plus solide. A la fois, le pays se veut désireux d’être la vitrine d’une reconstruction apaisée, mais les lacunes sécuritaires, les victoires successives du Hezbollah sur le terrain syrien, et la montée des discriminations dans le climat sociétal sont le fruit d’une remise en question constante des acquis libanais.En outre, le pouvoir institutionnel ne peut pas prôner une accalmie ou un dialogue effectif tout en s’alliant a des milices déstabilisatrices.

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Un peuple de résistance? Oui, lorsque l’on observe de près la complexité des histoires personnelles, la claire-voyance des libanais face aux instrumentalisations politiques des chefs de parti. Mais le pays du cèdre est aussi un plat de résistance pour les pays occidentaux, un mouchoir de poche qui absorbe 30% des réfugiés syriens, et qui doit se débrouiller avec l’entre-deux palestinien depuis maintenant 60 ans. Une fragilité qui fait à la fois le charme et le drame du Liban.

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